Le feu se peut changer de place | Lyntha & Kara

Assise sur un banc fait de pierres, installé dans un coin sombre du jardin derrière le Palais des Feu, Kara observait d’un air absent les quelques fleurs singulières qui avaient réussi à pousser çà-et-là, repoussant les nombreuses mauvaises herbes qui obstruaient presque la totalité de la verdure du jardin. Le cœur de la Feu était quelque peu brisé quand elle voyait un si beau jardin être si mal entretenu par les esclaves et les serviteurs qui servaient sa famille et qui avaient pourtant pour objectif d’entretenir le Palais en très bon état. Kara se doutait bien que cette surface de verdure ne pouvait pas être aussi bien entretenue que celle des Terre, ces personnes contrôlant l’élément leur permettant de ressentir la terre et les êtres vivants qui la composaient. Si cela ne tenait qu’à elle seule, la femme de Khorde aurait déjà engagé un serviteur Terre afin de s’occuper et de remettre en état cette portion du palais presque abandonnée par le reste de sa famille. Par de très nombreuses fois Kara s’était fait la remarque que le jardin ressemblait énormément à la jungle qui entourait Lucrezia, et ce n’était pas pour lui plaire. Voir la nature retrouver ses droits sur les actes de l’humain était tout ce dont elle rêvait, mais voir que le jardin n’était pas aménagé pour que les gens puissent s’y balader en toute tranquillité l’abattait. Elle qui appréciait tant marcher dans la nature sans devoir faire attention à ce que sa robe ne s’attache pas à une branche ou une épine aurait tant aimé passer sa vie dans le jardin.

Baissant les yeux sur ses doigts croisés et posés sur ses jambes, la Feu attendait patiemment que son unique fille arrive auprès d’elle. Cela faisait un petit moment que Kara souhaitait parler avec son enfant, sa petite fille devenue pourtant grande avec qui elle ne trouvait que trop rarement des moments privilégiés. La mère de famille et épouse du prochain Chef des Ergorn n’avait pas le droit d’affirmer que Lyntha était son enfant préféré, puisqu’une mère était censée aimer tous ses enfants de la même façon. Cependant, depuis plusieurs années maintenant, son plus grand fils était devenu la parfaite copie de son père, aussi violent et manipulateur que celui qui l’avait aussi peu élevé, et Kara ne parvenait pas à trouver un quelconque amour à apporter à ce fils qu’elle ne comprenait que trop peu. Son second fils et dernier enfant, Uriel, lui faisait penser à son beau-frère qu’elle aimait presque trop, Ranrek. Aussi blagueur et bout en train que lui, il semblait proche des idéaux de son oncle, ce qui effrayait Kara de voir son fils se mettre en danger vis-à-vis de son père. Ranrek avait été considéré comme le canard boiteux de la famille très rapidement, et elle ne voulait pas que cela arrive à son propre fils.

Mais par-dessus tout, Kara aimait sa fille au plus haut point. Sans que quiconque ne sache la vérité sur son véritable père, Lyntha avait grandi auprès d’une mère qui faisait tout ce qui était en son pouvoir pour la protéger de la violence de son père, lui qui avait été si déçu d’avoir une fille comme premier enfant, la considérant immédiatement comme un enfant non viable. Kara s’était battue bec et ongles — pour la première et sûrement la dernière fois de sa vie — pour que Lyntha puisse vivre une vie relativement normale aux côtés de sa famille qui pourtant ne semblait pas vouloir accepter qu’une femme prenne la tête à la mort de Khorde. C’était bien pour cette raison que pour ce dernier, seul son premier fils pourrait contrôler la Famille dans plusieurs décennies.

Haussant vaguement les épaules pour essayer de se changer les idées, Kara leva les yeux vers le ciel pour tenter de trouver un peu de réconfort. Depuis les récents événements, elle s’était fait beaucoup de souci pour sa petite fille. Les Dieux semblaient terriblement en colère depuis l’assassinat du Birghild et de l’attaque des extrémistes eaux, et pour le moment, seuls les Feu n’avaient pas été touchés. Connaissant la cruauté dont pouvaient faire preuve les divinités face à l’ignorance et la stupidité des hommes, Kara savait que ce n’était qu’une question de jours, peut-être de semaines, avant que leur fureur ne s’abatte réellement sur les Feu de Dahud. La Feu souhaitait donc passer un moment avec sa fille, un moment agréable où elles pourraient discuter de choses et d’autres tout en marchant dans Lucrezia, pourquoi pas en achetant quelques étoffes et autres choses qui pourraient leur être utiles un jour — ou peut-être jamais. Quoi qu’il en soit, Kara avait véritablement besoin de sortir. De se changer les idées, de rencontrer du monde. De discuter avec sa fille sans avoir les esclaves et la famille qui rôdent autour en se demandant si les deux femmes de même sang avaient quelque chose à cacher. Parce que Kara avait réellement quelque chose à cacher, mais elle comptait bien le garder pour elle jusqu’à sa mort.